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Le rôle des institutions financières pour le climat : passer de l’engagement à l’action
Publié le
- Sarah Bendahou Chercheuse en financement du développement Institute for Climate Economics (I4CE)
- Blandine Arvis Chercheuse en financement du développement Institute for Climate Economics (I4CE)
Secteur Privé & Développement - Business & Climat : de l'ambition à l'action
Proparco publie une édition hors-série de sa revue Secteur Privé & Développement, consacrée au rôle stratégique du secteur privé et des institutions financières face à l’urgence climatique.
Les institutions financières, notamment les banques et les fonds d’investissement, peuvent jouer un rôle capital dans la lutte contre le changement climatique et le développement durable. Pour cela, elles doivent adopter des pratiques favorisant l’intégration des enjeux climatiques dans les systèmes financiers au niveau local, allant de la mise en place de stratégies climat à l’amélioration de leur performance climatique. L’appui des institutions de financement du développement (IFD) s’avère souvent déterminant.
L’ élaboration de stratégies climatiques est une première étape essentielle qui détermine la contribution des institutions financières à la réalisation des objectifs climatiques mondiaux. Conformément aux orientations existantes (par exemple les normes ISSB sur les obligations de divulguer les informations relatives au climat), ces institutions peuvent, lorsqu’elles adoptent une stratégie climatique, agir à plusieurs niveaux :
- Mettre en place une gouvernance climatique, ce qui nécessite la sensibilisation et le renforcement des capacités du conseil d’administration pour lui permettre de suivre la réalisation des objectifs climatiques. Pour aller plus loin, il est aussi possible de lier les indicateurs clés de performance (KPI) et les incitations financières des administrateurs aux performances climatiques.
- Intégrer les considérations climatiques dans la stratégie des institutions financières, par exemple via un plan de transition qui démontre comment l’institution atteindra ses objectifs climatiques. Les institutions les plus avancées s’efforcent d’intégrer la dimension climatique dans leur stratégie globale ainsi que dans l’ensemble de leurs stratégies sectorielles, nationales ou par branches d’activités
- Définir des objectifs climatiques qui permettront de financer des activités ayant un impact positif sur le climat, et de réduire les investissements vers des activités dont l’impact est négatif. Dans l’idéal, ces objectifs devront être régulièrement revus et mis à jour. La direction doit par ailleurs prendre l’engagement de s’aligner avec les objectifs climatiques.
- Commencer par renforcer les capacités des équipes dirigeantes et opérationnelles sur les thématiques climat et élaborer ensuite des orientations et processus internes destinés à favoriser la concrétisation des objectifs climatiques au sein de la stratégie. Des KPI et des incitations financières fondées sur la performance climatique peuvent aussi être mis en place au niveau des équipes dirigeantes et opérationnelles.
Gérer les risques climatiques
L’évaluation et la gestion de l’exposition aux risques financiers liés au climat nécessitent de cartographier les risques physiques et de transition. Les IFD peuvent fournir un accompagnement technique sur ce point. L’évaluation détaillée des risques climatiques sur les actifs et transactions comporte deux volets. D’une part, l’exposition aux risques physiques aigus (par exemple les événements climatiques extrêmes) ou chroniques (exemple : l’élévation du niveau de la mer); d’autre part, l’exposition aux risques liés à la transition climatique (la tarification du carbone, le passage à des sources d’énergie moins émettrices, le risque de réputation, etc.). Les institutions financières déjà bien avancées dans l’évaluation et la gestion des risques climatiques pourront déterminer en quoi leur analyse peut alimenter leurs processus de gestion des risques et identifier des opportunités de financement d’atténuation ou d’adaptation.
Promouvoir des objectifs climatiques
Une institution financière doit définir des objectifs climatiques pertinents pour ses activités. Il s’agit non pas d’avoir pour objectif principal de réduire les émissions financées mais de chercher à identifier comment l’institution peut contribuer davantage à la transition vers une économie sobre en émissions ou résiliente au changement climatique. Ces objectifs doivent s’appuyer sur les taxonomies locales (nationales ou régionales) déjà existantes en matière de finance durable, le cas échéant. Ils peuvent être de trois types :
- Accroître dans un premier temps les investissements liés au climat à l’aide de produits et services qui le sont aussi (par exemple, des obligations vertes ou des obligations liées au développement durable). Pour les institutions les plus avancées en la matière, cet objectif peut également se traduire par un engagement et un développement commercial auprès de clients et sur des segments de marché qui contribuent à la réalisation d’objectifs climatiques.
- Accéder et mobiliser de nouvelles sources publiques et privées de financement climatique (par exemple en devenant une entité accréditée par le Fonds vert pour le climat) pour accroître la part d’investissements climatiques que l’institution financière a dans son portefeuille. Elle peut d’ailleurs bénéficier du soutien des IFD, notamment grâce au développement d’instruments financiers de partage des risques permettant de mobiliser des financements additionnels.
- Réduire les activités entraînant des impacts climat négatifs, d’abord en définissant des listes d’exclusion (charbon ou secteurs amont dans le gaz et le pétrole, par exemple) et en établis - sant des stratégies de désinvestissement de ces activités. Les institutions financières peuvent aussi instaurer un dialogue avec leurs clients sur les risques et opportunités liés au changement climatique.
Améliorer la performance climatique
L’évaluation et le pilotage de la performance climatique impliquent de commencer par le suivi des activités et des investissements non conformes aux objectifs climatiques, du volume des activités et des investissements qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre et de celui des activités et investissements qui contribuent à la résilience climatique.
Rendre compte de son action climatique
En matière d’action climatique, la transparence consiste à rendre publique la performance climatique, selon les méthodes de suivi adoptées par les institutions financières, ainsi que leur exposition aux risques relatifs au climat. Les plus avancées publient le détail des impacts de leurs activités et investissements liés au climat.
Comment contribuer à l’effort ?
Une récente étude de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de l’Association latinoaméricaine des institutions de finance - ment du développement (ALIDE) montre que le manque de savoir-faire en matière d’inves - tissements verts et d’adaptation au changement climatique parmi les clients demeure un obstacle à l’augmentation des projets durables en Amérique latine et dans les Caraïbes.
L’accompagnement technique proposé par les IFD pour le développement d’outils et le renforcement de capacités des équipes est unanimement perçu par les institutions financières comme leur étant très utile pour leur alignement avec l’Accord de Paris. L’appui à l’analyse d’impact, au suivi et à l’évaluation ainsi qu’à la préparation des projets figure parmi les premières priorités d’accompagnement technique citées par les membres de Finance in Common , un réseau mondial de banques publiques de développement, ayant été sondés. Une autre attente récurrente des institutions financières est un accompagnement technique leur permettant d’aborder les exigences de reporting en matière de développement durable, et le suivi des émissions financées. Cet accompagnement contribue en effet à renforcer leur capacité d’autoévaluation de la performance climatique, leur permettant de s’améliorer au fil du temps pour, à terme, pouvoir rendre compte comme il convient de leur action climatique.
Grâce à l’accompagnement technique, les IFD peuvent également contribuer à limiter les coûts initiaux et à accroître l’efficacité des programmes sur les segments de marchés produisant des effets sur le climat, notamment lorsqu’une institution financière s’y engage pour la première fois. Cela permet à l’institution d’accroître la part d’activités et d’investissements consacrée, de réduire les émissions et de renforcer la résilience climatique.
Collaboration entre institutions financières en matière d’objectifs climatiques
La branche consacrée au secteur privé de la Banque interaméricaine de développement (BID), IDB Invest, propose un accompagnement technique à ses contreparties, y compris aux institutions financières locales . À travers cet accompagnement, IDB Invest vise à mieux identifier les opportunités de projets climatiques en amont de l’investissement, y compris par le renforcement des capacités en matière climatique. Elle cherche aussi à favoriser le développement du marché par effet de démonstration, à attirer l’investissement privé en contribuant à la structuration d’opérations de financement mixte et en facilitant l’émergence et la diffusion de connaissances pour guider la prise de décision des investisseurs.
En dehors des banques multilatérales de développement, des IFD comme British International Investment (BII) peuvent également fournir un accompagnement technique aux institutions financières sur les sujets climatiques. BII aide ainsi certaines d’entre elles à mieux intégrer cette thématique à leurs opérations, à gérer les risques climatiques et à améliorer leur reporting. Elle propose également un accompagnement technique à des institutions financières qui ont besoin d’un soutien pour leurs investissements climatiques.
Parmi les autres exemples d’accompagnement technique, on peut citer le soutien aux institutions financières pour le développement d’outils destinés à cadrer l’évaluation des projets. La Banque brésilienne de développement (BNDES) a ainsi reçu l’appui de KfW pour le calcul des émissions évitées des projets, l’aide consistant à fournir aux analystes des indicateurs d’émissions évitées pour leurs opérations. Autre exemple, le soutien apporté par la BEI à FONPLATA pour le développement d’un système d’évaluation de l’alignement de ses projets sur les Objectifs du développement durable (ODD), avec la mise à disposition d’une information claire sur l’ensemble du cycle de vie du projet.
Les IFD peuvent aussi apporter leur soutien en codéveloppant avec les institutions financières des outils d’évaluation du risque climatique. La BID a par exemple contribué à une cartographie des vulnérabilités aux risques climatiques pour certaines chaînes de valeurs essentielles, au Mexique et au Brésil. Cet outil a permis d’identifier les principaux risques climatiques et les régions ou chaînes agricoles les plus exposées dans le portefeuille du FIRA (Fonds fiduciaire de développement rural du Mexique) , contribuant de ce fait à mieux cibler les investissements tendant à renforcer la résilience climatique.
Autre exemple, le soutien apporté par Proparco à l’évaluation de la transition climatique et des risques physiques pour les institutions financières bénéficiant de services de conseil technique en matière de climat plus largement, par exemple à travers son programme « Pro Climat ».
Pourquoi est-il important que les institutions financières agissent maintenant ?
Les institutions financières perçoivent d’ores et déjà l’opportunité commerciale que représente l’investissement climatique. Certaines ont considérablement accru ces investissements ces dernières années, tout particulièrement dans le développement d’énergies renouvelables. Ces flux sont encore insuffisants face aux défis planétaires qui nous attendent. Des études alertent sur le fait qu’un scénario de réchauffement à +1,5 °C – déjà hors d’atteinte selon les analyses les plus récentes – pourrait coûter jusqu’à 63 milliards de dollars, en comptant le coût d’adaptation et celui des dégâts résiduels sur les principales cultures , entre autres.
Les institutions financières doivent unir leurs forces pour que les capitaux s’orientent vers la réalisation des objectifs mondiaux en matière de lutte contre le changement climatique. Elles ont un rôle crucial à jouer en vue de la décarbonation et de la résilience climatique des économies et sociétés. Cela implique de rediriger leurs investissements vers des secteurs à la fois rentables et bénéfiques pour le développement durable au sens large.
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