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Le financement bancaire des PME : quelles spécificités africaines ?
Publié le
Maria Soledad Martinez Peria Economist senior Banque mondiale

Secteur Privé & Développement #1 - Le financement des PME en Afrique Subsaharienne
Le secteur privé représente un outil puissant de développement pour les pays pauvres, à la fois principal moteur de croissance et de création d’emplois et relais des politiques publiques grâce notamment aux partenariats public-privé. Dans de nombreux pays, il contribue d’ailleurs à la fourniture de services essentiels. Enfin, même dans les pays les plus pauvres, les flux privés externes (investissement direct étranger et flux de migrants) et internes (épargne et investissement local) sont sans commune mesure avec les montants de l’aide publique au développement.
En s'appuyant sur des données issues d'enquêtes auprès de banques, cet article montre que les volumes de financement offerts par les banques aux PME sont plus limités dans les pays africains que dans les autres pays en développement et que ces financements coûtent plus cher et ont de surcroît des maturités plus courtes en Afrique.
Les responsables politiques du monde entier manifestent un vif intérêt pour la question du financement des PME. Cela peut s'expliquer à la fois par la contribution de ces entreprises au secteur privé et par le sentiment, largement répandu, qu'elles souffrent d'un accès difficile au crédit. Ces deux facteurs sont pertinents dans le cas des économies africaines. Les PME y représentent en effet près de 50 % des emplois2 et, selon les enquêtes menées par la Banque Mondiale, 40 % des petites et 30 % des moyennes entreprises considèrent l'accès au financement comme un frein majeur au développement de leurs activités3.
Les résultats d'une enquête auprès des banques africaines
En s'appuyant sur des données récentes issues d'une enquête menée auprès des banques en 2007-2008, cet article évalue l'ampleur et analyse les caractéristiques des financements bancaires accordés aux PME en Afrique. Il compare ensuite les résultats à ceux obtenus pour les autres pays en développement dans le reste du monde (voir également Beck et al., 2008). Nous analysons plus particulièrement les informations fournies par 16 banques dans 8 pays africains (Afrique du Sud, Ethiopie, Kenya, Malawi, Sierra Leone, Swaziland, Zambie et Zimbabwe) et par 64 banques actives dans 30 pays en développement hors d'Afrique. Les banques interrogées dans le cadre de cette enquête comptent parmi les cinq plus importantes de chaque pays. Nous comparons, suivant différents critères, les financements disponibles auprès des banques pour les PME d'Afrique à ceux disponibles dans les autres pays en développement. Nous évaluons dans un premier temps l'importance de ces financements en examinant la part du crédit total destiné aux PME ainsi que le pourcentage de dossiers de crédits soumis par des PME qui sont acceptés. Nous considérons ensuite la nature de ces financements en analysant, d'une part, le pourcentage de crédits destinés à financer l'investissement et, d'autre part, la proportion de prêts bénéficiant d'une garantie. Puis nous nous penchons sur le coût du crédit pour les PME en étudiant les frais et taux d'intérêt appliqués. Nous analysons enfin le risque qu'implique le prêt aux PME en Afrique en comparant le taux de prêts non performants parmi la clientèle des PME africaines avec celui observé dans le reste du monde en développement. Le Tableau 1 présente le résultat de ces comparaisons et analyses.
Des volumes de financement très restreints en Afrique
Les données montrent que les volumes de financement offerts par les banques aux PME sont plus limités dans les pays africains que dans les autres pays en développement et que ces financements ont, de surcroit, des maturités plus courtes en Afrique. Ceci se vérifie tout particulièrement dans le cas des petites entreprises. Dans l'échantillon de pays en développement non africains, les prêts destinés au financement des petites entreprises représentent en moyenne 13,1 % du total des prêts bancaires tandis qu'en Afrique, la proportion n'est que de 5,4 %. De même, les banques acceptent en moyenne 81,4 % des demandes de prêts des petites entreprises dans les pays en développement non africains contre seulement 68,7 % en Afrique. En outre, tandis que 47 % en moyenne des prêts accordés aux petites entreprises servent à financer de l'investissement (par opposition au fond de roulement) dans les pays en développement hors Afrique, ce chiffre n'atteint que 28 % dans les économies africaines. Il est important de noter que ces différences sont statistiquement significatives. Les prêts bancaires octroyés aux PME sont également plus coûteux en Afrique que dans les autres pays en développement. Les frais appliqués à ces prêts – 1,97 % en moyenne du montant total du prêt pour les petites entreprises et 1,79 % pour les entreprises de taille moyenne – y sont en effet généralement deux fois plus élevés. De même, les taux d'intérêts appliqués aux PME y sont en moyenne de l'ordre de 5 à 6 points de pourcentage supérieurs. Les banques d'Afrique imposent, par exemple, des taux prochesen moyenne de 15,6 % à leurs meilleurs clients parmi les petites entreprises, alors que ces taux dépassent à peine les 11 % dans les autres pays en développement. Parallèlement, l'activité de crédit aux PME semble plus risquée en Afrique que dans le reste du monde en développement. Cela pourrait expliquer les taux d'intérêt plus élevés observés sur le continent. En effet, la proportion de prêts non performants (PNP) sur le portefeuille de petites entreprises atteint en moyenne 14,5%, en Afrique contre 5,5% dans les autres économies en développement. Le taux de PNP pour les moyennes entreprises est également plus élevé en Afrique (6,8%) que dans les autres pays (5,1%), mais cette différence en moyennes n'est pas statistiquement significative.
Pourquoi les banques africaines sont elles réticentes à prêter aux PME
Comment expliquer les différences constatées en matière de volumes de prêts, de coûts et de risque de crédit entre l'Afrique et le reste du monde en développement? Si une analyse approfondie est impossible ici, l'opinion des banques sur les facteurs susceptibles de favoriser, ou de dissuader, le financement des PME dans différents pays apporte un éclairage intéressant (voir graphes ci-dessous). Dans les pays en développement hors Afrique, plus des trois-quarts des banques affirment que la rentabilité attendue sur le segment des PME constitue un motif majeur de leur engagement auprès de ces entreprises, tandis que seulement deux-tiers des banques en Afrique citent ce facteur parmi les critères décisifs. Dans le même temps, moins de 40 % des banques dans les pays en développement non africains considèrent l'environnement macroéconomique comme un obstacle important à leur engagement sur les PME, alors que 60 % des banques d'Afrique mentionnent ce facteur parmi les freins au développement de leurs opérations sur ce segment. Ces réponses suggèrent que les responsables politiques africains ont, plus encore qu'ailleurs dans le monde en développement, un rôle à jouer dans la promotion du financement des PME. Il s'agirait notamment d'adopter des politiques macroéconomiques susceptibles de réduire les risques et d'accroître la rentabilité des opérations du secteur privé et de l'activité de financement des PME en Afrique.
1 Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne sont en aucun cas imputables à la Banque Mondiale, à son conseil d'administration ou à ses dirigeants.
2 Micro, Small and Medium Enterprises Database, SFI: http://rru.worldbank.org/Documents/other/MSMEdatabase/msme_database.htm
3 Les calculs effectués à partir des données issues d'enquêtes auprès des entreprises sont disponibles sur http://www.enterprisesurveys.org.
RÉFÉRENCES :
Beck, T., Demirguc-Kunt, A.N Martinez Peria, M.S., 2008. Bank Financing for SMEs around the World: Drivers, Obstacles,Business Models and Lending Practices, Banque Mondiale, Document de travail 4785