Proparco publie une édition hors-série de sa revue Secteur Privé & Développement, consacrée au rôle stratégique du secteur privé et des institutions financières face à l’urgence climatique.
Face à l’aggravation des impacts physiques du changement climatique, l’adaptation s’impose progressivement comme une priorité économique et financière. Longtemps perçue comme un renoncement à l’atténuation, elle devient aujourd’hui incontournable, y compris pour les banques centrales et les superviseurs.
Pourquoi l’adaptation est-elle devenue une priorité depuis quelques années ?
Il y a 10 ans, Mark Carney prononçait un discours resté célèbre sur la « tragédie de l’horizon » : le drame du changement climatique, c’est que son impact était à l’époque relativement peu visible. Parce que le changement climatique était peu visible, au-delà de l’horizon des décideurs.
Il n’y a pas d’adaptation sans stabilité climatique et pas de stabilité climatique sans être dans une situation « net-zéro ».
Au même moment et jusque récemment, il y avait également une réticence à parler d’adaptation. Mettre l’accent sur la préparation de nos économies et de nos sociétés au changement climatique était vu comme porteur du risque d’une renonciation à une action climat assez ambitieuse. Cette réticence n’est pas totalement infondée, d’autant plus que l’adaptation n’est pas une alternative à l’atténuation : il n’y a pas d’adaptation sans stabilité climatique et pas de stabilité climatique sans être dans une situation « net-zéro »
Nous sommes 10 ans plus tard et, malheureusement mais inévitablement, les impacts du changement climatique sont devenus très concrets avec, chaque semaine, sont lots de records et de catastrophes. Au niveau mondial, le coût annuel moyen des dommages climatiques a augmenté de plus de 30% entre la décennie 2005-2015 et la décennie 2015-2025. Tout le monde est touché mais certaines économies moins développées sont en première ligne. Ces impacts plus sévères et plus fréquents rendent le besoin d’adaptation plus criant. Une adaptation qui, plus que l’atténuation, est ressentie comme un coût qui pose des questions de prise en charge.
L’adaptation est toutefois une préoccupation assez éloignée du mandat des banques centrales et des superviseurs prudentiels ?
Le financement de l’adaptation est évidemment plutôt une question budgétaire (même si certains projets peuvent être entrepris et financés par des acteurs privés). À ce titre, on peut se dire que l’adaptation n’est pas un sujet pour une banque centrale ou un superviseur prudentiel. C’est une objection qui a été soulevée par certains lorsque le NGFS a commencé à travailler sur le sujet en 2023. Mais la question de l’adaptation, avant d’être un enjeu de financement, c’est à quoi s’adapter et pourquoi s’adapter. Il s’agit de limiter les impacts du changement climatique.
La question de l’adaptation, avant d’être un enjeu de financement, c’est à quoi s’adapter et pourquoi s’adapter.
D’un point de vue macroéconomique et financier, ces impacts peuvent être très matériels. Les dommages des inondations en Slovénie en 2023 ont eu un coût direct représentant plus de 15 % du PIB. Au-delà des coûts des dommages, ces évènements ont également un impact durable sur l’activité : on peut estimer que les inondations en Émilie-Romagne de 2023 ont réduit l’activité de 5 % pendant plus de 6 mois. Des impacts de ce type sont évidemment incontournables pour l’analyse macroéconomique d’une banque centrale ou l’évaluation des risques d’un superviseur. Comme l’ont très bien illustré quelques rapports récents du NGFS, les risques physiques sont donc un enjeu à prendre en compte par les banques centrales et les superviseurs dans le cadre et en raison de leur mandat (et par en dépit et au-delà comme certains commentateurs peuvent parfois le prétendre).
En quoi les pays émergents et en développement sont-ils plus directement confrontés aux effets physiques du changement climatique ?
À partir de 2021, le NGFS a reçu un grand nombre de demandes d’adhésion de la part d’institutions présentes dans des économies émergentes et en développement. Lors de nos échanges avec eux, il apparaissait clairement qu’une motivation importante pour rejoindre le réseau était l’expérience d’une accélération du changement climatique. On en entend moins parler que certains autres évènements climatiques parce que leur coût monétaire est moins impressionnant, mais ils n’en sont pas moins dramatiques.
Le coût des dommages liés aux inondations en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest en septembre 2014 se chiffre à quelques centaines de millions de dollars au pire mais elles ont affecté plus de 4 millions de personnes, dont 1,5 million de déplacés. Pour des économies souvent informelles, avec une couverture assurantielle très faible et une forte dépendance au secteur agricole, le changement climatique a un impact direct et disproportionné sur l’activité économique et les revenus des ménages. Par ailleurs, le développement urbain rapide et plus spontané que planifié rend certaines métropoles très sensibles à des évènements climatiques extrêmes.
Le sujet de l’assurance est souvent lié à celui de l’inassurabilité. S’agit-il d’un domaine ayant fait l’objet de travaux ou de réflexions spécifiques ?
Les travaux du NGFS sur les risques physiques et l’adaptation s’appuient particulièrement sur certains membres qui ont une responsabilité en matière de supervision d’organismes d’assurance. Plus généralement, l’IAIS (l’homologue du comité de Bâle pour l’assurance) est également active sur ces sujets. De fait, le changement climatique présente un défi particulier au secteur de l’assurance qui peut constituer une réponse à la gestion sociétale des risques physiques mais se retrouve aussi confronté à des situations où l’assurance devient impossible compte tenu de l’augmentation de la fréquence et de la sévérité des aléas climatiques.
Le changement climatique présente un défi particulier au secteur de l’assurance qui peut constituer une réponse à la gestion sociétale des risques physiques.
C’est un phénomène particulièrement visible aux États-Unis où les primes d’assurance dans les comtés les plus exposés ont augmenté de plus de 20 % entre 2020 et 2023 (deux fois plus vite que la moyenne) et atteignent désormais jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars par an. Plus encore, ces augmentations de tarif ne suffisent pas et de nombreux assureurs ont annoncé qu’ils se retiraient de certaines régions. Si cette situation est extrême (les évolutions en France et en Europe sont beaucoup moins dramatiques), il est évident que l’assurabilité des risques climatiques ne va plus de soi.
Les travaux du NGFS suggèrent néanmoins que le développement de l’assurance dans les économies émergentes et en développement reste un objectif pertinent et permettent de mieux comprendre comment l’organisation du marché de l’assurance peut aider à préserver l’assurabilité des risques climatiques. Ils ont aussi permis d’illustrer l’intérêt de certaines approches (e.g. assurance paramétrique) pour rendre plus efficace et développer plus rapidement l’assurance dans des juridictions où la couverture est faible. En revanche, ils ont aussi mis en évidence que l’assurance ne peut pas ignorer l’augmentation dramatique du risque et que l’adaptation est une dimension essentielle de la préservation de l’assurabilité.