Entretien avec Daniel Rozas: le Cambodge est face à un tournant
Cofondateur de MIMOSA, Daniel Rozas intervient comme consultant auprès de diverses institutions, parmi lesquelles la plateforme européenne de la microfinance (European Microfi nance Platform, E-MFP), comme expert en microfi nance ou auprès de la CMA (Cambodian Microfi nance Association) au travers d’une mission de prévention sur le surendettement et la définition de principes communs aux IMF. Diplômé d’un MBA de l’Université de Maryland, il a auparavant travaillé, entre 2001 et 2008, pour la compagnie américaine de crédits hypothécaires Fannie Mae.
- En microfinance, le Cambodge fait figure d’exception. Pourquoi ?
Le Cambodge est un cas particulièrement intéressant. Si l’on remonte aux années 2000, il n’y avait à l’époque aucun secteur financier. La microfinance a été le principal vecteur de développement du secteur financier local, et non les banques. Toutes les IMF étaient à l’origine des ONG, actives en zone rurale via divers projets de développement, dont des microcrédits. Une particularité du Cambodge provient du fait que les IMF se sont d’abord développées dans les zones rurales et non dans les zones urbaines. La microfinance a permis de construire un pont entre le secteur rural et le secteur financier. De plus, c’est aussi un secteur où les institutions étrangères, les investisseurs sociaux étrangers et les banques de développement comme Proparco, ont joué un rôle essentiel et ce depuis le début des années 1990. Au Cambodge, les ressources financières du secteur étaient originellement presque entièrement issues de l’aide au développement. C’était encore le cas il y a 5 ou 6 ans. Les ONG de microfinance sont progressivement devenues des IMF et pour certaines des banques, financées par des organisations étrangères. C’est un cas unique.
- Vous dites que le décret du 13 mars 2017 crée beaucoup d’incertitude. Que voulez-vous dire ?
Le décret découle d’une confusion entre les taux d’intérêt pratiqués par les IMF informelles, perçus comme usuriers, et ceux appliqués par les IMF régulées. Il pourrait avoir un impact important sur les institutions. Si les taux d’intérêt sont maintenus à un niveau aussi bas et qu’il n’y a pas de flexibilité possible, il deviendra très difficile pour certaines IMF de continuer leurs activités. Elles devront prêter à un taux d’intérêt qui ne couvre pas leurs coûts opérationnels. Si on diminue trop fortement et soudainement les taux d’intérêt, certains produits ne pourront plus être proposés. Les clients des zones rurales risquent d’être les premiers affectés du fait des coûts élevés liés à l’accès aux zones les plus reculées.
- Vous participez en parallèle aussi à la définition des lignes directrices de bonnes pratiques auprès de la CMA. À quels besoins répond ce projet ? Quels sont vos objectifs ?
La CMA a souhaité définir des principes pour prévenir le surendettement et garantir l’essor du marché dans un cadre durable. Elle a demandé à divers bailleurs de l’y aider, dont Proparco. Ce sont des principes restrictifs et autorégulants définissant le cadre d’activité des IMF et leurs obligations d’informations auprès de la centrale des risques locale (CBC). Cette dernière est notamment chargée de produire un rapport de suivi consultable par les bailleurs. Ce qui est assez exceptionnel, c’est que ces principes sont entièrement définis par les acteurs du marché eux-mêmes. La CMA espère que la Banque centrale adoptera ces lignes directrices dans le cadre d’une loi applicable à l’ensemble des acteurs du secteur financier. En pratique, ces principes obligeront les IMF à collecter plus d’informations sur leurs clients, à transmettre plus de données à la CBC, à limiter le nombre de prêts à une même personne et à mieux protéger les clients.
- Quelles sont les bonnes pratiques dans le secteur ?
Au Cambodge, les IMF sont désireuses de collaborer les unes avec les autres. Elles ont voulu, depuis de nombreuses années, créer un secteur responsable régulé par des principes communs. Elles ont pris l’habitude de répondre à la demande des bailleurs de fonds de se soumettre à des notations sociales, ce qui n’est pas le cas dans d’autres marchés. Cela crée un cadre normatif, pas seulement dans le domaine financier mais aussi social. En particulier, certaines IMF se distinguent par leur volonté d’être socialement responsables vis-à-vis de leurs clients. Elles collaborent par exemple avec le groupe de travail sur la performance sociale (Social Performance Task Force (SPTF)) et la campagne Smart Campaign, une initiative mondiale visant à protéger l’intégrité et le patrimoine des individus et des familles engagés dans des projets de microfinance. Elles font notamment en sorte de comprendre leurs clients et d’identifier précisément leurs besoins en fonction des contextes spécifiques. Cela crée aussi un cadre plus éthique. C’est également un domaine dans lequel le Cambodge est en avance sur d’autres pays.